vendredi 17 octobre 2008

Aristote expliqué à une petite fille

Quand Aristote s'occupe de "faire le ménage" dans l'existence, il commence aussitôt par dire que toutes les choses dans la nature peuvent être divisées en deux groupes principaux. D'un côté les choses inanimées telles les pierres , les gouttes d'eau et les mottes de terre. Celles -ci n'ont en elles aucune possibilité de se transformer en autre chose. Ces choses non vivantes peuvent, selon Aristote, uniquement se modifier par une intervention extérieure. De l'autre côté, nous avons les choses vivantes qui portent en elles la possibilité de se transformer.
Concernant les "choses vivantes", Aristote indique qu'elles appartiennent à deux groupes: les végétaux vivants (ou les plantes) et les être vivants. Pour finir, les êtres vivant se divisent en deux sous groupes: les animaux et les hommes.
Reconnais que cette classification est simple et claire. Il y a une différence fondamentale entre une chose vivante et une chose inanimée, par exemple entre une rose et une pierre. De même, il existe une différence fondamentale entre les végétaux et les animaux, par exemple entre une rose et un cheval;j'ajouterai même qu'il existe une différence assez nette entre un cheval et un homme. Mais si l'on veut être plus précis, en quoi consistent ces différences? Peux-tu me le dire
Jostein Gaarder
Le monde de Sophie

mardi 14 octobre 2008

Salma

L'amour, par un jour, de ses rayons magiques, m'ouvrit les yeux, et pour la première fois il effleura mon âme de ses doigts de feu. J'avais dix-huit ans!
Salma Karamé était la première femme de ma vie qui par son charme éveilla mon esprit et se mit à marcher devant moi dans cet éden de sentiments sublimes, où les jours comme les rêves s'évaporent et les nuits comme les noces s'évanouissent.
Par sa beauté , elle m'inculquât le culte du beau.
Par sa grâce, elle me dévoila les secrets de l'amour.
Et par sa voix , le premier vers du poème de la vie intérieure vint me caresser l'ouïe.
GIBRAN
Les ailes brisées

lundi 13 octobre 2008

Un mariage mixte #3

Il s'agissait bien d'ailleurs de discours et de persuasion! Il aurait fallu transformer les gens et les institutions, les bâtiments et toute la nature. Pouvais-je empêcher les marchands de brioches de hurler sous nos fenêtres dès six heures du matin, suivis par les marchands de beignets au miel, puis par les marchands d'artichauts, de vieux habits, de pétrole?...Pouvais-je supprimer l'humidité, atténuer la chaleur, faire pousser de la verdure?
Je m'affolais, perdant définitivement une sérénité tellement provisoire qu'il me fallait plus tard , faire effort pour en retrouver le souvenir, je ne savais comment retenir les murailles qui s'écroulaient.

dimanche 12 octobre 2008

Un mariage mixte #2

Je demandai à mes parents qu'ils cessent de parler patois devant Marie; c'est peut-être dans ces moments où ils se mettaient à parler entre eux, tous à la fois, criant au plus fort pour se faire entendre, que la solitude de ma femme, au sourire figé, celui d'une sourde, me frappait le plus.
Mais je n'insistai pas beaucoup, je l'avoue; ma mère comprenait à peine le français, fallait-il l'exclure de la conversation pour que Marie se sentit moins perdue?
Raisonneur, tantôt sincère tantôt de mauvaise foi, j'essayai d'expliquer à Marie ce qui la heurtait, espérant le lui rendre un peu familier. Les portes ne ferment pas? Négligence certes,mais aussi la chaleur dessèche le bois, la pluie subite le regonfle. La nourriture trop épicée? Sans épices, avec ce climat, on ne mangerait plus. Je reconnaissais souvent, en moi-même qu'elle avait raison mais il m'était désagréable de l'avouer, j'aurais admis alors que jusqu'ici, j'avais vécu en sauvage
à suivre
Albert MEMMI
Agar

samedi 11 octobre 2008

Un mariage mixte

Ne comprenant pas tout à fait ce qui se passait en elle , je m'étonnais qu'elle fit tant cas de détails.
Je ne voyais pas clairement que ces détails n'étaient que l'expression d'un malaise fondamental:elle se découvrait lentement et définitivement solitaire, se heurtant à chaque visage et chaque objet.
Et j'avais beau essayer de la protéger, j'arrivais à peine à prévoir où elle allait se blesser , à prévenir ses souffrances toujours renaissantes. Elle ne supportait pas la cuisine de ma mère, qui faisait pourtant de réels efforts; à chaque plat, elle questionnait avec méfiance sur les ingrédients , la graisse, les épices, la cuisson. Malgré l'effroi religieux de mon père, j'introduis dans les menus quelques aliments de chez elle, laitages et charcuterie. Mais il ne s'agissait pas de nuances, elle ne digérait pas et se mit à maigrir dangereusement. Elle souffrait de froid, je découvris avec étonnement qu'elle en souffrait plus que moi .Nous n'avions pas l'habitude de nous défendre contre l'hiver trop court qui nous surprend toujours comme mauvais tour du ciel. Et cette première année que nous passâmes à Tunis elle collectionna les rhumes, les angines et les grippes...
à suivre
Albert MEMMI
Agar

jeudi 9 octobre 2008

Un homme sans femme

Louis n'avait plus peur de Guillaumin, il connaissait la fragilité des hommes sans femme, poussés par la vie à l'isolement, d'un seul coup égarés au milieu de leur fermes, de leurs champs, comme si la notion du temps des saisons leur échappait...Du côté de chez lui, souvent ceux-là finissaient par se pendre dans leur grenier ou se jeter dans un puits...
Guillaumin survivait, isolé, sauvage, fermé, conscient de n'être plus rien dans le pays, gêné de montrer une déchéance qu'il ne pouvait plus surmonter. D'un air gêné, il découvrait à Louis sa faiblesse, celle de l'homme qui n'a rien à perdre...
Jean Claude Ponçon
Le fantassin d'argile

vendredi 3 octobre 2008

Une leçon de vie

Je me souviens d'un jour au jardin des roses. Je jouais assis par terre, j'avais six ans,peut-être sept. C'était l'aube de notre dernière année.Tu es sortie de la cuisine pour t'installer sous la véranda.
Je ne t'avais pas vue. Antoine était descendu vers la mer alors je profitais de son absence pour jouer à l'interdit. Je taillais les rosiers avec son sécateur bien trop grand pour ma main. Tu as abandonné la balancelle et tu as descendu les marches du perron pour me protéger d'une blessure à venir.
Quand j'ai entendu tes pas j'ai cru que tu allais crier,parce que j'avais trahi la confiance que tu me donnais bien volontiers, m'enlever l'outil comme on ôte une médaille à celui qui n'en est plus digne. Mais tu t'es assise près de moi et tu m'as regardé. Puis, tu as pris ma main dans la tienne pour la guider le long de la tige . De ta voix adoucie de sourires tu m'as dit qu'il faudrait toujours couper au dessus des yeux, au risque de blesser la rose,et un homme ne doit jamais blesser une rose, n'est-ce pas? Mais qui pense à ce qui blesse les hommes?
Marc Lévy
Vous revoir

samedi 2 août 2008

Chacun son Dieu


Ils se cotoyaient, sans se mêler. Chacun son Dieu, chacun son temple, sa mosquée, son église, sa synagogue.Qui son anisette, qui sa boukha, qui l'orgeat de ses mariages,de ses circoncisions.
A chacun ses rites, ses processions, ses carêmes,et ses jeûnes, ses Noel, ses Aid ,ses Yom Kippour, ses messes , ses ors et ses orgues, ses Vierges et ses saints, ses prières , ses prosternations, ses prêches , ses vendredis bourdonnants de sourats ,ses épaules enveloppées de châles du samedi , ses professions de foi.
L'enluminure d'un Coran ouvert sur un lutrin, dont la calligraphie s'élève ,volute après volute, psalmodie déroulant dans le silence ombreux de la salle de prières tapissée de haute laine, ses glissandos de voyelles emphatiques, ses claquements de dentales, la scansion de ses gitturales.
A vol d'oiseau de la Grande Mosquée, la lumière d'un vitrail tombe sur un missel bardé de cuir, d'où pend un signet de soie, dans le flux et le reflux d'un harmonium que balisent,extatiques, une Vierge , des saints agenouillés.
Une Thora nichée au coeur du tabernacle, à l'abri d'une arche , au fond de la synagogue, à deux pas du cinéma Le Vox, dont le coupeur de tickets n'était autre qu'Edmond, tu sais le fils de Madame Nedjar, notre voisine.
Ils portent leur religion sur la tête, feutres ou casques coloniaux, kippas, chéchias , fez , tarbouches dont les soies se balançaient sur l'épaule.Tous ces rituels, ces cérémonies , ces célébrations, se coudoyant pour se frayer un chemin vers le Dieu qu'ils se reconnaissent
Le Paradis des Femmes
Ali Bécheur


mardi 29 juillet 2008

De l'amour

Elle lui semblait si belle,si séduisante,si différente des gens du commun qu'il ne comprenait pas pourquoi personne n'était comme lui bouleversé par le chant de castagnettes de ses talons sur le pavé de la rue,ni pourquoi les coeurs ne battaient pas la chamade aux soupirs de ses volants, ni pourquoi personne ne devenait fou d'amour sous la caresse de ses cheveux,l'envol de ses mains, l'or de son sourire.
Gabriel Garcia Marquez
L'amour au temps du choléra

lundi 28 juillet 2008

Questions

Alors,la sensation du Paradis descend des cieux. Et j'ai conscience de vivre un moment inoubliable de ma vie-cette conscience que très souvent nous atteignons après que le moment magique est passé. Je suis là tout entier,sans passé, sans avenir,entièrement concentré sur cette matinée,sur la musique des pattes de chevaux, sur la douceur du vent qui caresse mon corps,sur la grâce inattendue de contempler le ciel,la terre et les hommes. J'entre dans une espèce d'adoration,d'extase,reconnaissant d'être en vie. Je prie à voix basse,j'écoute la voix de la nature,et je comprends que le monde invisible se manifeste toujours dans le monde visible
Je pose quelques questions au ciel, les mêmes questions que je posais à ma mère dans mon enfance
Pourquoi aimons-nous certaines personnes et en détestons_nous d'autres?
Où allons-nous après la mort?
Pourquoi naissons-nous,si nous mourons pour finir?
Que signifie Dieu?
Paulo Coelho
Le Zahir