Ne comprenant pas tout à fait ce qui se passait en elle , je m'étonnais qu'elle fit tant cas de détails.
Je ne voyais pas clairement que ces détails n'étaient que l'expression d'un malaise fondamental:elle se découvrait lentement et définitivement solitaire, se heurtant à chaque visage et chaque objet.
Et j'avais beau essayer de la protéger, j'arrivais à peine à prévoir où elle allait se blesser , à prévenir ses souffrances toujours renaissantes. Elle ne supportait pas la cuisine de ma mère, qui faisait pourtant de réels efforts; à chaque plat, elle questionnait avec méfiance sur les ingrédients , la graisse, les épices, la cuisson. Malgré l'effroi religieux de mon père, j'introduis dans les menus quelques aliments de chez elle, laitages et charcuterie. Mais il ne s'agissait pas de nuances, elle ne digérait pas et se mit à maigrir dangereusement. Elle souffrait de froid, je découvris avec étonnement qu'elle en souffrait plus que moi .Nous n'avions pas l'habitude de nous défendre contre l'hiver trop court qui nous surprend toujours comme mauvais tour du ciel. Et cette première année que nous passâmes à Tunis elle collectionna les rhumes, les angines et les grippes...
à suivre
Albert MEMMI
Agar
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