mardi 11 mai 2010

Dans la peau du "Gilles" de Watteau


Mon visage fut peint en deux matinées, dans le petit temple glacial que j'ai dit. D'ailleurs, la toile était presque achevée quand j'arrivai:c'était un grand Pierrot aux mains pendantes,au maintien stupide. L'avouerai-je?Moi qui n'a plus d'ambition, j'avais espéré chemin faisant d'être une fois figuré sous les traits d'un prélat, peut-être d'un prophète, et me serais plus volontiers contenté d'un métier de comparse dans une machine sacrée, lévite derrière Joad ou obscur témoin de la Passion, que de ce premier rôle d'enfariné qu'il entendait me faire endosser. Je demeurai stupide devant cette grande chose blanche; il feignait de s'aviser de mon embarras, qu'il avait évidemment prévu; il me fit de grandes excuses -il riait- et je m'efforçais d'en rire aussi:mon visage n'était-il pas n'importe qui, et qui d'ailleurs me reconnaîtrait , chez les gentilshommes où notre tableau serait accroché?
Pierre Michon
Maîtres et serviteurs

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