Il s'agissait selon la note établie par Alexandre d'un exercice de clarification des mots et des expressions en usage pour décrire l'amour; car il considérait comme piégeux, ces foutus mots , charriant des brouettes d'idées fallacieuses , et de nature à duper les candidats aux émotions durables .Par ce dictionnaire jailli de ses artères juvéniles, il entendait lutter contre la manière sournoise qu'a le langage d'ensorceler notre esprit lorsque nous réfléchissons aux choses du coeur et du sexe. Subitement épris de linguistique passionnelle, Alexandre clamait que les formes prises par notre babil façonnent notre nature,informent notre pensée et déterminent notre manière d'aimer. Il prétendait même qu'en clarifiant le vocabulaire qui ne cesse de nous berner on parviendrait à mieux résoudre nos tracas conjugaux. Pour Alexandre , clarifier revenait à dénoncer haut et fort les mythes insidieusement véhiculés. Ainsi par exemple,
faire l'amour laisserait entendre aux inattentifs que l'acte charnel fabrique l'amour.
Aimer, écrivait-il plus bas, est un verbe authentique- suractif même!- et l'époque ne s'en aperçoit guère. Il lui paraissait urgent de faire saisir aux époux que ce verbe doit servir à décrire une action bien réelle, un ensemble d'initiatives concrètes et non une simple émotion.
Aimer passionnément, s'insurgait-il dans la paragraphe suivant, fait odieusement référence à la passion du Christ, donc à une torture,.Ce qu'il jugeait intolérable. L'abandon sentimental n'a rien à voir avec l'épopée de ce célèbre crucifié, éructait-il. Sortons de cette confusion et préférons aimer à plein bonheur. Chose plus grave encore;
ils se marièrent, furent heureux et eurent beaucoup d'enfants arrive toujours à la fin d'un récit, remarquait-il, lorsque les péripéties sont terminées .Quel scandale de ne jamais l'employer en début de roman; ce qui sous-entend que les gens heureux n'ont plus d'histoire à déguster!
Nous sommes amoureux est hélas fréquemment utilisé par les tourtereaux , comme s'il suffisait d'être une émotion amoureuse pour profiter effectivement de son amour!déplorait-il avec irritation. De même que ,
ma chérie laisse imaginer par l'emploi du possessif que la propriété de l'autre rendrait plus cher à notre coeur. Quant au fameux
je t'aime,Alexandre le trouvait prodigieusement équivoque. En effet, comment confondre en un seul terme convoiter un joli cul, goûter un caractère et être prêt à verser plus tard une pension alimentaire?Il s'indignait contre l'emploi délétère du fameux
fou d'amour qui laisse accroire qu'il faudrait en passer par la folie pour aimer démesurément .Comme si l'amour sans frein ne nécessitait pas beaucoup de raison, comme s'il n'était pas requis par la raison elle même.
Alexandre Jardin
Quinze ans après